☾ (silas) come to your river

Il a dit "retrouve-moi au Wonderland, vingt-deux heures". Il a ajouté "ne sois pas en retard" puis, après un rapide coup d’œil à ma tenue "et habille toi correctement". Et il a disparu, me laissant seule dans cette chambre immense qu'ils m'avaient offerte, déjà meublée, après mon "enlèvement" mystérieux, cette nuit étrange où toute ma vie avait basculée.
Ce n'était pas un rencard. Ce n'était pas une proposition, une simple question posée à une amie, à une sœur, au hasard ou presque. C'était un ordre, malgré sa voix presque douce et ses manières de gentleman. Silas m'avait donné rendez-vous sans me laisser ne serait-ce qu'une seconde pour hésiter.
Il avait exigé.
Et il savait que je n'avais pas le choix, que j'allais me plier à sa demande et obéir, comme une gentille petite fille un peu paumée - rôle que je m'efforçais de jouer, tant bien que mal, depuis mon arrivée à la villa. Cette nouvelle vie, c'était tout sauf ce que j'avais imaginé. Moi qui me voyais déjà princesse, je n'étais guère plus qu'une invitée, en période d'essai chez les Capulet. Et putain, qu'est-ce que ça me faisait chier. Certes, ils avaient garni mon compte en banque de quelques milliers de dollars (que j'avais commencé à flamber en herbe et robes luxueuses beaucoup trop courtes), certes j'étais la bienvenue à leur table, à chaque dîner de famille organisé dans la luxueuse demeure, certes, en apparence, j'étais désormais l'une des leurs, comme si cela avait toujours été le cas. Mais leur attitude ne laissait aucun doute : au moindre faux pas, ils trouveraient un moyen pour me faire taire. C'était une certitude.
Moi, la gamine des rues sombres, la danseuse dénudée, la petite pute en talons hauts, je n'étais rien à leurs yeux. Rien de plus qu'un test ADN, refait deux fois, pour être certain. Rien de plus que quelques gouttes de sang qui semblaient les forcer à faire comme si. Comme si j'avais ma place parmi eux. Comme si tout ce cirque, cette mise en scène, était tout à fait normale.

Vingt-deux heures quinze et je suis assise là, au bar, un gin tonic devant moi, un homme,
plutôt mignon, la trentaine, cheveux bruns et épaules carrées à ma droite. Fidèle à moi même, fidèle à mes vieilles habitudes de racoleuse, je minaude : tout est bon à prendre pour ne payer aucune de mes prochaines consos.
(Mais quelle conne, putain, quelle conne, arrête de jouer à l'enfant, t'es ici chez toi,
regarde-les, toutes, ces filles qui te ressemblent, talons vertigineux, jambes infinies,
petites moues de salopes innocentes sous trois tonnes de maquillage bon marché, toutes ces filles rêveraient d'être à ta place.)
Je termine mon verre et en commande un deuxième, d'un geste sec et sans trembler :
l'alcool ingurgité avant de sortir (comme avant, pour me donner un semblant de contenance) me monte au crâne, j'ordonne, j'exige. Je suis princesse. L'homme, derrière le bar, s'exécute avec un sourire que je ne lui rends pas. "Le service est un peu lent, non ?" Rictus boudeur sur mon visage enfantin. "J'en parlerai à la direction." L'homme, toujours à ma droite, s'approche, pose ses doigts sur ma cuisse nue et jette quelques billets verres sur le bar. Sa façon, sûrement, de me faire comprendre que cette tournée est pour lui. Sa façon, surtout, de marquer, sans aucune subtilité, son territoire. Je glousse, il plonge son regard dans mon décolleté plongeant, je libère ma cuisse d'un geste sec. "Connard."
Gamine lunatique.
Poupée qui ne sait plus comment danser.
Une main ferme se pose sur mon épaule. "Lua, je te cherchais." Silas me fait désormais face, dans son plus beau costume d'arrogance et de suffisance.

c'est une soirée test. ta nouvelle petite sœur va devoir montrer de quoi elle est capable, parce qu'il n'est plus admissible qu'elle se comporte comme une moins que rien. parce que sans que tu ne le comprennes réellement ta mère souhaite donner une chance à cet enfant. elle n'a rien demander, c'est ton père le fautif. y'a ses mots qui sifflent encore dans tes oreilles, et c'est pour ça que tu te comportes aussi bien qu'un frère avec elle. tu veilles, comme on te l'a demandé, à ce que rien ne vienne ternir l'image de la famille Capulet. t'es déjà au wonderland, occupé avec des clients régulier. tu lui as dit que tu l'attendais pour vingt-deux heures, elle sera à l'heure et toi, tu seras en retard.
le temps passe, et tu te libères enfin. tu cherches des yeux Lua dans l'immense salle, et tu ne perds pas de temps à la trouver. assise au bar, un verre à la main et un mec agrippé à sa cuisse. t'as un soupir excessif pour si peu et tu t'approches du duo, ta main se pose sur l'épaule de la gamine.Lua, je te cherchais. que tu lances doucement pour qu'elle se tourne vers toi. affublé de ton fidèle costume, tu l'observes avec attention ravi qu'elle se soit changé pour l'occasion. un coup d'oeil mauvais pour le type, qui ne demande pas son reste et se tire aussi vite que possible. tu prends sa place, t'as pas besoin de réclamer pour qu'un verre de bourbon glisse jusqu'à toi.
t'es bien mieux dans cette tenue. t'essaye d'être gentil, abordable. t'essaye d'être comme tout le monde, sourire un peu trop forcé pour paraître sincère, mais c'est difficile dans ta condition. encore difficile d'accepter qu'il y a quelques temps c'est dans les bas fonds qu'elle traînait son cul. tu vas faire ton premier jour de boulot. enfin, ta première soirée. tu expliques et elle n'a pas son mot à dire. je te laisse passer derrière le bar, Josh se fera un plaisir de tout te montrer. il n'était même pas au courant, et tu n'es même pas certain qu'il s'appelle Josh, mais lui non plus n'a pas le choix. les ordres viennent de toi. j'serai ton premier client, après je te laisserai faire et j'observerai de loin. voir ce que tu vaux. c'est presque comme ton ancien boulot. servir des cocktails, se foutre à poil, c'est presque pareil dans ton vocabulaire.
allez, perds pas de temps. sert moi quelque chose d'autre, surprend moi, j'sais pas. tu la regardes avec insistance, sourcil arqué et doigts crispés sur ton verre déjà vide.

Je sais qu'il est en retard. Il le sait sûrement aussi. Peu importe l'heure à laquelle monsieur arrive, ses sujets ne partiront pas avant lui. Sa suffisance se lit dans le moindre trait de son visage. Je lui souris. L'autre homme, le brun, déguerpit. Dommage. J'en aurais bien fait mon jouet, mon petit chiot pour toute la soirée. L'observer se pâmer pour mes beaux yeux m'aurait beaucoup plu, je crois. Peu importe. Silas me détaille d'un regard, me complimente comme si j'étais n'importe laquelle des filles qui lui tourne autour. Je voudrais lui aboyer le prix de cette robe, de ces talons, le temps passé devant le miroir - mais il n'en aurait rien à foutre, son costume coûte sûrement dix fois plus que ma vulgaire tenue.
"Tu vas faire ton premier jour de boulot. enfin, ta première soirée. Je te laisse passer derrière le bar, Josh se fera un plaisir de tout te montrer." Je l'observe, sans un mot. Encore une fois, son ton n'attend aucune réponse. Il exige, seulement. Comme aux autres. Comme à tous les autres. Il me faut quelques secondes avant de comprendre qu'il est sérieux, que pour moi, cette soirée n'a rien d'un divertissement. Il attend de moi que je bosse, avec l'autre con, sourire fatigué sur les lèvres. Putain. Je ne suis pas une cliente, encore moins une amie. Je ne suis qu'une vulgaire employée, traitée comme les autres, tout juste bonne à être écrasée sous le talon de sa luxueuse chaussure. Je n'ai pas le temps d'en placer une qu'il enchaîne déjà. "J'serai ton premier client, après je te laisserai faire et j'observerai de loin. voir ce que tu vaux. c'est presque comme ton ancien boulot." J'ai chaud, d'un coup, et je voudrais vomir toute la vodka ingurgitée à ses pieds. Je me lève, fière, le toise. "Faire la pute pour les Capulet, j'suis bonne qu'à ça pour toi, hein ?" J'hésite, une seconde, à lui cracher à la gueule. J'imagine déjà la scène. Son regard dégoûté, ses poings serrés, sa mâchoire contractée et un gorille m'empoignant par les épaules pour me sortir, manu militari. Et après ? Retrouver la vie sale que je menais avant ? Perdre tout. Il sait. Il sait que n'aurais pas, une seule seconde, le courage de refuser sa proposition. A ses yeux, ce doit même être qu'un cadeau qu'il me fait là.
Je passe derrière le bar, démarche féline, regard planté dans le vide, loin devant, très loin. Respirer. Qu'il aille se faire foutre, ce con. Sait-il pour combien j’enlevais ma culotte, là-bas ? Sûrement pas. Parfois moins qu'un de ces cocktails à la con qu'ils servent ici. C'est ce qu'il attend de moi ? Que je me foute à poil et que je danse sur les tables pour son bon plaisir ? Je bouscule Josh, attrape une bouteille au hasard et en avale une bonne lampée. C'est bien l'avantage des barman, non ? Alcool à volonté ?
Monsieur attend. Je me penche vers lui, décolleté pigeonnant, sourire de petite vierge effarouchée déjà trop alcoolisée. De ma voix la plus doucereuse, je chuchote à son oreille. "Bonsoir monsieur, je vous souhaite la bienvenue au Wonderland. Pour vous, ce sera notre meilleur breuvage : vodka-pomme. Et l'ingrédient secret de la maison." Clin d’œil appuyé. Quitte à jouer à la pute, autant y aller à fond, non ? J'ai presque envie d'ajouter pour que pour 20 dollars de plus, il aura le droit à une pipe, mais je me retiens au dernier moment. Je prends un verre, au hasard, le remplis à moitié de vodka (si c'est bien de la vodka, ça pourrait être du gin que ça ne ferait aucune différence à mes yeux) avant d'ajouter du jus. Grossièrement, je coupe une tranche de citron que je jette dedans. "Tiens. Fais toi plaisir."

Faire la pute pour les Capulet, j'suis bonne qu'à ça pour toi, hein ? elle s'est redressée la gosse, surement fière de ses mots, tu la regardes sans réellement comprendre ce qu'elle désire. mais voilà qu'elle fait le tour et passe derrière le bar, la première bouteille qu'elle attrape c'est pour foutre le goulot dans sa bouche et boire comme une idiote. la gamine veut jouer mais t'as pas la patience ce soir. elle se pavane, joue les grandes et se penche vers toi poitrine en avant comme si tu étais un minable de l'ancien taudis dans lequel elle travaillait. Bonsoir monsieur, je vous souhaite la bienvenue au Wonderland. Pour vous, ce sera notre meilleur breuvage : vodka-pomme. Et l'ingrédient secret de la maison. chuchotement désagréable à ton oreille, ta mâchoire se crispe et elle commence son cirque. verre à la volée, alcool jeté dedans sans la moindre élégance, du jus de pomme et une vulgaire tranche de citron. Josh, ou peu importe son nom est comme désemparé, il cherche de l'aide dans ton regard mais la seule idée qui te vient est celle de le renvoyer pour ne pas savoir gérer le personnel. à côté de toi des hommes, des clients qui se demandent ce qui est en train de se passer, tu n'y fais pas attention. pas pour le moment. Tiens. Fais toi plaisir. tu t'empares du verre, le breuvage touche à peine tes lèvres et te fait déjà grimacer. dégueulasse. que tu lâches. parfaitement dégueulasse. c'est à sa gueule que tu jettes le reste du contenu du verre, un sourire malveillant se dessine sur tes lèvres quand tu regardes son air de gamine mécontente. tu viens d’abîmer une robe qu'elle n'aurait jamais pu s'acheter si tu n'étais pas rentrer dans sa vie. tu te penches en avant et tu saisis son poignet avec fermeté, son corps maigre cogne contre le bar. tu te prends pour qui Lua ? me traiter comme ça, devant mon personnel, devant mes clients ... c'est du venin qui s'échappe de ta bouche, un véritable sifflement. tu crois que t'es ici pour quoi ? t'aurais même pas pu te payer l'entrée. rends toi compte de la chance que tu as, plutôt que jouer aux gamines capricieuses, t'en as pas encore l’étoffe. tu la relâches enfin, repose ton cul sur le tabouret et retrouve un calme olympien. un old fashioned, s'il te plait. c'est au vrai barman que tu t'adresses maintenant. et maintenant, essaye d'apprendre avant que je te foute dehors. nouvelles paroles pour la petite Lua. t'as l'espoir qu'elle se calme, mais quelque chose te dit que ce ne sera pas le cas. ce n'est qu'une fille perdue, enlever à sa vie et obliger de se ranger aux mœurs d'une famille qu'elle ne connait pas. vous lui laisserait sa chance, c'est certain, si elle s'en montre digne. et prends les commandes de ceux qui attendent. pour le moment tu vas rester le cul vissé ici, véritable chien de garde près à mordre au moindre faux pas.

Le fait même qu'il se saisisse du verre m'étonne. Il l'approche de ses lèvres, le liquide entre en contact avec sa langue, un millième de seconde seulement. Il grimace, intérieurement, je souris. "Dégueulasse." En a-t-il seulement douté une seule seconde ? Je n'attends qu'une chose : qu'il me demande de me barrer, qu'il comprenne que je n'ai rien à foutre ici. Tout ça, c'est derrière moi. Je vaux mieux que ça, désormais, n'est-ce pas ? Une Capulet n'a rien à faire derrière le bar.
Au lieu de ça, monsieur le lance du reste du verre. Je recule, ferme les yeux, j'en ai partout, putain, qu'il aille se faire foutre. Mon sang bout. Mon regard est noir. Je jette un coût d’œil à ma robe dégueulasse, à sa tête de con. On dirait qu'il ne désire qu'une chose : me cracher dessus. M'humilier, encore plus, toujours plus.
Je ferme ma gueule. Murée dans un mutisme que je tente, tant bien que mal, de contrôler : c'est ça ou j'explose. Tout ou rien.
Je le dévisage, sans faire le moindre geste.
J'ai l'impression que mille regards sont braqués sur moi. Ils doivent se demander qui est cette gamine, ce qu'elle fout là, pourquoi. Ils doivent rire de mon mascara qui coule, de mes cheveux poisseux, de mon piteux silence.
La princesse tombe un peu plus de son piédestal. Pire : la dégringolade, sans fin, est publique. Bientôt, les clients applaudiront de me voir au sol, la gueule en vrac, les larmes aux yeux. Je les ravale. Je ne laisserai pas ce plaisir à Silas. Pas ce soir.
J'enregistre tout ce qu'il me dit. Je ne regarde que lui, comme pour oublier le reste. Tout le reste. Les lumières et mes rêves de gamine, écrasés sous la semelle d'un homme contre qui je ne peux rien. Il m'est supérieur à un point que je ne peux imaginer - mon chemin est encore à tracer.
Je me tourne vers Josh, persuadée que tel est son prénom. Je le regarde faire. Ses gestes, presque gracieux, sont millimétrés, le sucre qu'il écrase, les zestes d'orange, comme une chorégraphie. Je voudrais gueuler à Silas que je ne suis pas capable de ça, que je ne le serais jamais, qu'il peut bien m'humilier encore et encore, que ce n'est pas pour moi.
Je me tais.
Brave bête.
Je m'approche d'un client, accoudé au bar. Il me dévisage en riant. "C'est soirée t-shirt mouillé ?" Qu'il aille se faire foutre. "Je vous sers quelque chose ?" Je serre les dents. Je sens le regard de Silas sur moi. Pénétrant. Il ne me lâchera pas. "J'sais pas, c'est quoi ton parfum ?" Il éclate d'un rire immonde. Je serre les poings, tourne les talons. "J'veux bien faire un effort tu sais." Fierté ravalée. Ego rangé dans un coin. "Mais ça, j'peux pas. Soit je lui fous une baffe, soit quelqu'un d'autre s'en occupe." D'un geste, je tente de me recoiffer. Mission impossible. "Putain il a raison en plus, je pue."

t'as le ton dur envers la gamine. tu n'y vas pas de main morte, tout ça pour lui faire comprendre que c'est une réelle chance qu'elle a d'être ici. que ce n'est pas son choix, mais bel et bien le votre. ou du moins celui de ta chère mère. tu ne sais pas vraiment pourquoi, peut-être pour faire payer votre père, qu'il soit obligé de côtoyer tout les jours et jusqu'à la fin de son existence sa fille d'une autre femme. que jamais il n'oubli, lui aussi, la chance qu'il a de rester marié à une Capulet. la chance de ne pas finir lui aussi dans une tombe. c'est ton boulot aujourd'hui et surement pendant des mois, voire des années de garder un œil sur Lua. lui apprendre à devenir l'une des votre, lui apprendre le respect et à se faire respecter comme il se doit. tu l'observes à présent, tu penses qu'elle a comprit. qu'elle va se tenir à carreaux au moins pour quelques temps. le barman s'occupe de ton verre et elle l'observe avec attention, bientôt ce sera à son tour de faire de même. l'alcool arrive très vite devant toi, et tu en bois une gorgée appréciant enfin la morsure de l'alcool sur ta langue. ta nouvelle sœur se met au boulot, s'approche des clients accoudés au bar et tu tends l'oreille. la scène qui se déroule t'amuses plus que de raison et tu ne peux réprimer un sourire. J'veux bien faire un effort tu sais. Mais ça, j'peux pas. Soit je lui fous une baffe, soit quelqu'un d'autre s'en occupe. finit-elle par lancer en te regardant droit dans les yeux. tu hausses les épaules tout en terminant ton verre. t'as entendu, soit elle te colle une baffe, soit je m'en occupe. nouveau hochement d'épaules. mais vas-y Lua, je t'en pris, il ne répliquera pas, j'en suis sûr. regard appuyé pour monsieur connard et ses bonnes manières. le bruit finit par résonner et un rire t'échappe, alors que le gars se lève sans réclamer son reste.
le problème Lua, c'est que personne sait qui tu es. alors il va falloir que tu prennes sur toi, et que tu façonnes la place que tu mérites. tes propos se sont adoucis, parce que toi, tu n'as rien contre cette fille. tu la considères déjà comme ta sœur, puisqu'il y a ton sang qui coule dans ses veines, tu prendras soin d'elle. c'est ainsi, et il n'en sera jamais autrement. les seuls sentiments qui t'ont toujours habité ne vont qu'à ta famille, c'est une éducation, un lavage de cerveau parfait qu'on a mis en place sur toi depuis ton plus jeune âge. tu aimeras et tu protégeras les tiens. ce n'est pas un choix. qu'est-ce que tu voudrais faire ? t'es capable de quoi d'autre ? que te dénudé pour quelques billets ? dis moi, et peut-être que je trouverai quelque chose de mieux pour commencer. et ta question est plus que sincère, même si tu connais déjà la réponse. j'suis coincé avec toi, j'ai pas le choix. tu grimaces, parce que finalement t'aurai eu mieux à faire que dubaby-sitting. mais la reine Capulet veille au grain.

Je rêve juste d'une douche et de mon lit, je rêve juste de m'enfuir loin, très loin d'ici. Être une apprentie Capulet, ça me fait déjà chier. Je voudrais bien lui prouver, à Silas, que je vaux mieux que ça, bien mieux que ces conneries tout juste bonnes à me donner envie de me barrer. Mais je doute. Je suis même pas sûre d'en être capable. Il a peut-être raison, ce con. Tout juste bonne à me désaper pour quelques billets, à jouer à la conne pour des mecs en manque de frissons, à dérober des conneries à des familles blindées à en crever. Assez conne pour croire que je pouvais être son égale juste en claquant des doigts : une femme respectée, enfin.
J'ai rien gagné.
Je dois tout prouver, encore.
Et je n'ai rien à donner.
Heureusement, le ton de Silas s'adoucit. Dans un sourire dissimulé, il me donne le droit de passer mes nerfs sur l'autre porc, ce que je m'empresse de faire. D'un pas décidé, je m'approche de lui, me hausse sur la pointe des pieds. Il ne bouge pas, tenu prisonnier par le regard du jeune Capulet. Ma main claque sur sa joue et mon corps tout entier fourmille. Putain, ce que c'est bon. Il se barre avant même que je ne lui ordonne d'aller se faire foutre. Peu importe. La violence minuscule de ce geste presque insignifiant aura suffit à me calmer. Quelques clients rigolent, plus ou moins discrètement. C'est à moi de reprendre le pouvoir. C'est à moi de gagner le respect.
Quand je retrouve Silas, il sourit plus franchement. A croire que mon geste lui a fait plaisir aussi. "Le problème Lua, c'est que personne sait qui tu es. alors il va falloir que tu prennes sur toi, et que tu façonnes la place que tu mérites." Je ne peux le contredire. A force de claques, à force de mots piquants, de regards noirs et de travail bien fait (ce qui me semble être le plus compliqué), on finira peut-être par ne plus me marcher sur les pieds. Peut-être. J'hoche la tête, sérieuse, petite fille apprenant d'un plus grand, qui, elle l'espère, la gardera sous son aile malgré les erreurs. "Qu'est-ce que tu voudrais faire ? T'es capable de quoi d'autre ? J'suis coincé avec toi, j'ai pas le choix." Il me ferait presque de la peine. Pauvre petit prince coincé avec la vilaine roturière qu'il lui faudrait élever au rang de princesse. Chaque geste est à apprendre. Je hausse les épaules. Dépitée. Je ne sais rien faire. Je sais onduler. Je sais charmer. Je sais faire aux hommes, d'un seul regard, que je suis la clé du moindre de leurs fantasmes. Je sais les faire rêver d'une nuit sauvage contre moi, leur faire croire qu'il leur faut m'apprivoiser, que je saurais les combler. Et après ? Je me mords la lèvre inférieure. Je suis crevée. J'ai envie de me barrer. De lui rendre sa liberté. De lui gueuler, amuse-toi, vas-y, j'abandonne. Mais non. Tout au fond de moi, derrière mon ego et ma fierté, je rêve qu'il m'apprenne à faire comme lui, à diriger une cour d'une main de maître, à donner pour mieux reprendre, à inspirer la peur et le respect, d'un seul haussement de sourcil, d'un unique mot bien tourné. Putain. "Rien. J'sais rien faire." Ma voix se casse. Je reprends ma place de gamine en manque d'attention, capable de tout pour attirer une once de pitié. "Mais c'est pas en apprenant à faire des Bloody Mary que j'vais être une digne héritière des Capulet, si ?" Je soupire. Je sais que c'est lui qui a toutes les cartes en main, que les jeux sont pipés depuis le début, depuis sa naissance, qu'il finira, de toute façon, par obtenir tout ce qu'il veut de moi - et des autres. "J'suis pas là pour t'amuser toute la soirée. On se lasserait trop vite tous les deux. Alors je vais t'obéir. Je vais sourire et tout le monde, ici, finira par connaître mon nom." Je souris, toutes dents dehors, fierté revenue, encore plus grande, incendie grondant à l'intérieur, prêt à tout dévaster, à tout réduire en cendres. J'ai tout à prouver, dit-il ? Je grimpe, tant bien que mal, sur le bar encombré de verres plus ou moins pleins. D'un mouvement de danse lascif, j'attire les regards sur ma silhouette frêle. La musique couvre mes mots, mais peu importe, je gueule. "Mesdames, messieurs, bonsoir. Je m'appelle Lua Blue et ce soir, je suis là pour vous servir." Intérieurement, je croise les doigts pour que Silas apprécie au moins la prise d'initiative. Quelques badauds s'approchent, pour apprécier la vue de plus près, sûrement, commandent des shots à Josh - qui regarde mon manège, depuis plusieurs minutes, sans savoir quoi faire - et m'en tendent un. Je l'avale d'une traite en lançant un sourire conquérant à Silas.  

Rien. J'sais rien faire. voilà qu'elle redevient une gamine. son visage s'affaisse et tu comprends d'ores et déjà que tu auras un long travail à faire. que ta mère t'a donné la plus compliqué des missions. tuer un homme à mains nues ça t'a jamais dérangé, mais t'occuper d'une enfant c'est une tout autre histoire. Mais c'est pas en apprenant à faire des Bloody Mary que j'vais être une digne héritière des Capulet, si ? tu ricanes doucement. tu vas au moins apprendre à écouter. siffles-tu tout en buvant la dernière gorgée de ton verre. en un tintement sur le comptoir tu en réclames un autre. et la surprise se lit sur ton visage quand la petite blonde escalade le bar, talons aiguilles plantés la voilà qui se dandine au rythme de la musique pour ameuter les troupes. il ne lui faut pas plus d'une seconde pour que les mecs s'attroupent autour d'elle. Mesdames, messieurs, bonsoir. Je m'appelle Lua Blue et ce soir, je suis là pour vous servir. certains commandent des shooters, d'autres des verres et bientôt c'est au tour de Lua d'en boire un, puis deux. Josh t'en glisse un en même temps que ton verre, et tu l'avales sans rechigner. tu sens le regard de l'apprentie capulet sur toi, comme si elle cherchait ton approbation. tu hoches la tête de haut en bas, tu ne sais pas vraiment ce qu'elle fait mais ça paye. les mecs sont tous les même et dans un autre contexte tu aurais surement était l'un des premiers à approcher. y'a un type qui s'assoit sur le tabouret juste en dessous d'elle. allez ma belle, descend ! qu'il hurle presque tout en tentant un regard sous sa robe. et c'est un coup de pied violent que tu fous sur son perchoir, juste pour le voir s'écrouler au sol.
il a raison, descend. tu lui tends même la main pour lui apporter ton aide, tu l'invites à prendre place à côté de toi. un verre lui est servi d'office. c'est bon les mecs, buvez ce que vous voulez et foutez lui la paix. nouvelle phrase pour les abrutis accolés.
puisque apparemment t'es pas capable de tenir en place... peut-être qu'on devrait te trouver un petit boulot d'hôtesse. bien payé sans que t'es besoin de vendre ton corps. t'as un sourire taquin. ça t'irait ? ou tu vas continuer tes caprices ? tu entends par là son besoin d'attention chronique, cette envie de te prouver tout ce qu'elle peut faire en voulant jouer avec tes nerfs. t'as pas envie qu'elle rencontre la rage qui t'habite, pas ce soir. tout ce que tu veux, c'est apprivoiser l'animal sauvage. et rien de mieux que lui offrir des friandises n'est-ce pas ?