not bulletproof, when it comes to you ⊱ tomabel

   son poids, appuyé sur ton épaule, comme pour te rappeler qu'il est en vie. tu grommelles un peu, pour la forme. tu grommelles même beaucoup. et tu demandes même comment tu en es arrivée là.
ce n'est pas si difficile, pourtant. tu n'as qu'à fermer les yeux, un instant, et tu revois danser autour de toi les corps sombres qui couraient dans tous les sens. tu les entends encore, les cris. tu sens la terre trembler sous tes pieds, secouée des vibrations des bulldozers et des pelleteuses. tu revois l'éclat de la lune sur les canons des armes des cinq hommes qui vous faisaient face. et comme une flamme sur ta rétine, la lumière des explosions, dans tous les sens. et ton corps, qui tremble encore de la décharge d'adrénaline.
tu es incapable de te reprendre. de te calmer.
tu te mords la lèvre jusqu'au sang, comme si la douleur pouvait ramener un peu de clarté dans tes pensées. un peu de lumière. vain espoir. tu es encore trop secouée. tu joues à la fille des gangs, tu joues aux gangs. mais jamais les choses n'avaient été plus réelles que ce soir-là.
attaquer atlantis. quelle connerie.
et elle, si stupide de se lancer dans l'aventure. elle aurait mieux fait de rester chez elle. en sécurité. peut-être que tomas aurait été épargné, dans ces conditions. tu sens encore son corps s'écraser contre le tien lorsqu'il t'a bêtement (et violemment) plaquée derrière un bloc de granit, et tu te masses l'épaule. tu revois encore ses mains maculées de sang, de son sang. et, stupidement, c'est comme si toi, tu l'avais tué.
comme si tu avais toi-même pressé la détente.
petite fille stupide qui jouait un jeu qui la dépassait. petite fille inconsciente. petite fille hanté de tant de fantômes et de démons qu'elle était incapable de voir.
tu glisses un regard à tomas, à sa main pressée sur la plaie, comme s'il lui arrivait tous les jours de prendre des balles. et tu réalises que ce n'était probablement pas sa première. et tu te demandes combien il en a déjà prises, pour toi. pour ce serment idiot.
mais tu ne dis rien.
c'est sans réfléchir que tu es partie avec lui, pour fuir le chaos et la destruction. sans réfléchir que tes pas l'ont conduit vers l'endroit que tu connaissais le plus au monde, et vers lequel tu reviendrais toujours. tu n'as pas réfléchi, mais l'idée qu'il se vide de son sang, qu'il meure t'a été insupportable. tu avais perdu son frère. tu ne le laisserais pas mourir, lui aussi.
ni dans cette vie, ni dans la suivante.
mais c'est en voyant le proche de te maison, dans l'ouest, si paisible, que tu réalises à quel point la situation est étrange. ce sont tes deux mondes, tes deux vies qui se percutent violemment. et tu ne peux que te réjouir que tes parents aient été de sortie, ce soir-là. tu n'étais pas convaincue que ton père apprécie de te voir ramener un crimson à la maison. et tu grimaces à l'idée. 'on y est.' les premiers mots que tu prononces depuis le début. ta voix te paraît presque étrange - étrangère. mais tu attrapes tes clés dans ta poche, et tu déverrouilles la porte d'entrée. ça te rappelle juste la dernière fois que tu as fait ce geste-là devant lui.
quelques jours plus tôt. il y a une éternité.
quand il t'avait révélé pourquoi il te suivait partout. quand il t'avait avoué envisager l'éventualité que les crimson puissent être impliqués. quand il t'avait interdit de faire le mur.
et ça t'arrache un vague sourire, mi-figue mi-raisin, souvenir doux-amer.
'je t'en prie, castillo, entre. bienvenue chez le shérif blackthorn. félicitations. évite de mettre du sang de partout, s'il te plaît.' tu fais un geste large, invitation à pénétrer dans ta demeure. temple de la loi et d'une vie à laquelle tu n'appartenais plus.
et ce que tu t'apprêtes à faire te percute de plein fouet, comme un coup de poing dans ton ventre. 'je vais retirer une balle. bien sûr. tout va très bien se passer. pas de problème. tout va bien. je ne panique pas. où est blanche quand on a besoin d'elle?' t'étais pas médecin, toi. t'étais fille de shérif. tu maniais le flingue depuis l'enfance, pas les scalpels et les aiguilles.
mais tu ne pouvais pas décemment emmener tomas à l'hôpital.
du coup, c'était à toi de récupérer le bébé.
ô joie.
peut-être que les quatorze saisons de grey's anatomy suffiraient?
alors tu inspires profondément, et tu débarrasses la table à manger pour t'occuper l'esprit et lui faire de la place, et tu finis par mettre la main sur une bouteille de bourbon de ton père, que tu lui colles dans la main. 'rends-toi utile et tiens-moi ça. je vais en avoir besoin.'

 

   il a mal, et tu le sais. comme pour te rappeler qu'il est humain, sous sa carapace de gros dur ronchon. un type comme toi, capable de saigner. et d'en mettre partout sur le tapis préféré de ta mère. tu sais déjà qu'elle va t'assassiner. tu n'as plus qu'à te préparer à l'idée. un instant, tu envisages de te couper accidentellement avec un couteau de cuisine, histoire de - mais, trop lâche, tu rejettes l'idée.
même si ce serait probablement moins douloureux que la colère de ta mère et la déception de ton père.
tu les as déjà tellement déçus, tous les deux, et ça te serre le coeur. « je vais essayer, j'ai pas envie de finir derrière les barreaux. quoique, peut-être que j'aurais la chance de faire un tour dans la voiture du shérif ! » la plaisanterie, douloureuse, te rappelle cruellement que, pour tous, tu ne serais jamais que la gamine du shérif. et jusque-là, ça t'avait suffi.
mais tu avais changé.
et c'étaient d'autres gouttes de sang qui avaient entraîné ta chute. de la même couleur que celles qui s'écoulaient de l'abdomen de tomas. même origine, même nuance. seulement, liam était mort, et tu ne laisserais pas son frère le rejoindre.
et encore une fois, tu ne peux que regretter l'absence de blanche. blanche et ses mains si expérimentées, blanche, capable de retaper un homme comme personne d'autre. « essaye de l'appeler une nouvelle fois. peut-être qu'elle répondra cette fois-ci ?! » tu plisses la bouche en une moue peu convaincue. la messagerie de blanche, qui a tourné en boucle sous tes essais répétés - et vains. tu sais qu'elle est trop occupée - et tu sais que tomas en est conscient lui aussi.
ce serait à toi d'être à la hauteur.
et brusquement, tu te sens prise d'un immense sentiment d'injustice face à l'univers. face à cette vie qui se complaît à jeter toujours plus d'obstacles sur ton chemin. ça suffisait, non? tu avais eu ta dose, merci. tu avais été assez éprouvée. pas la peine d'en rajouter encore. plus rien à prouver.
toujours plus à prouver.
et ça froisse ta fierté, ça t’énerve.
colère contre liam, qui n'a rien trouvé de mieux à faire que de se faire descendre. colère contre ton père, qui n'arrive plus à te comprendre. colère contre tomas, qui s'est cru superman réincarné et s'est fait blesser dans l'opération, alors que tu n'avais pas besoin d'être sauvée. colère contre toi-même, qui t'étais perdue sur un chemin dont tu ne connaissais pas l'issue.
tellement de colère.
tomas s'offre une rasade du bourbon de ton père, et sa satisfaction visible parvient à t'arracher un vague sourire. « rappelle-moi d'acheter une bouteille à ton père. » tu t'apprêtes à lui répondre, tu cherches tes mots dans le tourbillon de colère et de terreur qui t'habite, et il t’interrompt. «jezabel, calme-toi. écoute-moi, j'ai confiance en toi... essaye de pas trop me charcuter quand même !»
c'est tellement inattendu, tellement irréel que tu en restes un instant bouche bée.
tomas castillo qui te rassure.
toi qu'il méprise tellement.
il te rassure.
et ça fonctionne.
tu sens ton pouls ralentir légèrement, et tu inspires profondément. rien de bien difficile, si? luke skywalker avait dix-neuf ans quand il était devenu jedi. tu avais déjà fait plusieurs fois victorieuse de la battle royale sur fortnite. ce n'était pas SI difficile, si? tu es jezabel kimberly blackthorn. rien au monde ne peut te résister.
'aussi surprenant que ça puisse paraître... moi aussi, j'ai confiance en toi. j'espère ne pas me tromper.' tu lui jettes un regard grave, un regard d'adulte. tu lui fais confiance, contre toute attente. peut-être parce qu'il est le seul à qui tu n'as pas besoin de mentir. le seul à pouvoir te voir dans ton intégralité. et l'accepter, bon gré mal gré.
« allez, bois un coup et c'est parti. » tu repousses la bouteille d'un geste de la main et d'un léger signe de tête. pas maintenant. tu as besoin d'avoir les idées claires, pour le moment. plus tard, tu noieras peut-être ta terreur, mais ce n'était pas le moment, pas encore.
alors tu retires le haut de tomas, en t'interdisant de te laisser troubler, et tu détaches ta chemise que tu avais nouée autour de sa plaie. tu ne peux que voir les cicatrices qui marquent sa peau, et tu sais que cette blessure-là en laissera une de plus. et tu t'interdis aussi d'imaginer ce que ton père penserait, s'il entrait à ce moment-là, avec un crimson à moitié déshabillé sur sa table à manger, et toi à côté.
tu rejettes la pensée dérangeante, et tu étudies la plaie avec intérêt. tu ne distingues pas la balle, et l'idée de devoir aller la repêcher t'arrache une grimace. alors tu commences par asperger de whisky un torchon pour désinfecter les bords de la plaie et un couteau sur lequel tu as mis la main - ainsi qu'une pince à épiler, parce que tu n'es pas une barbare, merci. et tu remontes tes manches.
et la pince à épiler retombe sur la table en un tintement métallique.
'je-peux-pas-je-peux-pas-je-peux-pas' les mots, répétés comme une prière.
alors tu penses à fortnite, à luke skywalker, à cet enfoiré d'univers qui n'en a jamais assez.
et tu reprends la pince pour l'enfoncer dans la gueule béante de la plaie. avec l'envie nette de vomir. 's'il te plaît, sois mignon, et les prochaines fois, évite de te prendre des balles.'
tu sens la balle sous le métal de la pince, et tu retiens un hoquet de nausée. geste trop brusque. c'est lui qui souffre, et c'est toi qui rêves de hurler.